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Elle est une femme, bel et bien femme, de la chevelure farouchement relâchée jusqu’au bout des ongles parfaitement manucurés, perchée confortablement sur des talons-aiguilles, ajustant avec nonchalance ses boucles d’oreilles ethniques. En jupe-crayon, la taille finement marquée, la bouche passée et repassée au rouge vermeille, elle avance en toute féminité, la nuque droite, le port altier.
Son regard brille de mille feux. Il reflète l’ardeur des projets minutieusement échafaudés, l’excitation qui précède l’exécution. Elle a hâte de sortir des sentiers battus, d’entrer en salle de conférence pour présenter fièrement son initiative au « board » à la majorité masculine, de lancer son innovation sur le marché, de réussir son pari haut la main ou, peut-etre d’accuser un revers dévastateur. Puis de se relever. Encore et encore. Aussi escarpée la pente soit-elle.
Des femmes qui lui ressemblent, elle en rencontre souvent, tant dans le monde de la finance que celui de la médecine, de la politique ou des affaires. Elle les admire. Elle les applaudit. Elle s’inspire de leur combat, de leur ingéniosité, de leur détermination. Toujours est-il qu’elle se demande souvent si ces sentiments sont réciproques, si toutes les femmes sont vraiment solidaires. Dans un univers placé sous le signe de la virilité, elle avait depuis longtemps retroussé les manches pour faire front aux attaques, aux intimidations sexistes, pour se frayer un chemin dans la cour des hommes et laisser sa marque. Si elle avait appris l’art de s’infiltrer dans un engrenage machiste, au sein d’une société orientale qui a adopté le féminisme sur le tard, elle avait aussi réalisé à quel point il était difficile de gagner la solidarité de ses consœurs.
Certes, les mentalités évoluaient. Toutefois, à l’heure où le nombre des hommes qui embrassaient désormais –d’aucuns farouchement convaincus, d’autres avec résignation- la cause du « women empowerment » et du «he for she » allait cresendo, les flèches les plus acidulées, les remarques les plus acerbes, étaient, encore hélas, douloureusement lancées par des femmes. De « trop sérieuse et forte, frisant la masculinité », à « trop maquillée, tirée à quatre épingles », en passant par « tantôt conservatrice tantôt libérale », les critiques fusaient tous azimuts, rivalisant de cruauté et de créativité. D’aucunes ne pouvaient s’empêcher de mâcher leurs mots, attaquant à toute volée toute femme –qu’elle soit active ou au foyer- qui donnait vaguement l’air de se diriger vers le succès, tant professionnel que personnel.
A l’ère de la révolution dont les femmes sont les chefs de file par excellence, à l’ère de la revendication de l’égalité femmes-hommes, elle ne pouvait s’empêcher de penser que la bataille ne saurait être remportée que si elles se serraient toutes les coudes, toutes appartenances confondues, sans exception aucune.
Elle est faite de rêves et d’espoirs. Ce n’est pas seulement la voie qu’elle a choisie et creusée de ses propres mains qui forgeait son identité, mais le monde intérieur qui l’habitait, à l’instar de toute femme, dans sa diversité complexe, et sous ses formes plurielles. Son destin était de résister aux embûches de la vie, de larguer les amarres, telle une figure de proue si majestueuse dans son obstination, de ne jamais s’incliner devant les tentatives visant à la déstabiliser. Une femme qui s’accroche à la beauté de la vie, à la liberté, à la chance de rire, de voler encore plus loin, encore plus haut, de se surpasser, de briser les limites du conventionnel. Du commun. De croire à l’invisible. F.K.
Photo: Œuvre de ma sœur Rajaa Paixão
Rajaa Paixão, cachalot aiguille, 2020, digital painting Giclée print on archival paper, 29.7 x 21 cm, from the Still Sea series, edition of 5